Les
propriétaires de 37,405 lots sur
lesquels sont construites des lignes de transport électrique d’Hydro-Québec depuis
près de 40 ans, auraient pu être victimes d’une fausse interprétation par HQ des
actes de servitudes. Ces servitudes acquises par voie d'expropriation et
utilisées comme des servitudes conventionnelles, seraient illégales selon un
jugement de trois juges de la Cour d’appel du Québec.
Dans une
ultime tentative pour rétablir « ses droits », la société d’État s’est adressée
vendredi dernier à la Cour suprême du Canada, afin de renverser ce jugement de
la Cour d’appel du Québec qui pourrait autoriser les propriétaires à poursuivre
Hydro-Québec partout au Québec, pour utilisation illégale de servitudes et
forcer ainsi la société d’État à « régulariser » la situation.
Les sept
propriétaires de la région de Lanaudière qui obtenu ce jugement contre la
société d’État, se refusent pour l’instant à tout commentaire.
Un jugement
dévastateur.
Ce jugement
dévastateur pour la société d’État, a été obtenu dans la foulée de la
construction d’une ligne de transport électrique 735kV de 400 kilomètres, en
provenance du Lac-St-Jean jusqu’à Terrebonne.
La Cour d’appel du Québec écrit : « Hydro-Québec ne possède
pas de droit réel lui permettant d’utiliser les propriétés […]pour l’implantation
de la ligne Chamouchouane-Bout-de-l’Île» (1) . La Cour reconnaît l’existence de
servitudes, mais à ses yeux ces servitudes ne sont pas suffisantes pour permettre
la construction d’une nouvelle ligne de transport à moins qu’il y ait entente
avec les propriétaires ou qu’ils soient expropriés.
Hydro-Québec
écrit : « …cette décision crée un dangereux précédent qui place en
situation potentielle d’irrégularité les servitudes afférentes à des milliers
de kilomètres de lignes de transport d’électricité déjà construites et en
exploitation. » Et elle poursuit : « Sans compter les
innombrables litiges potentiels avec les propriétaires de fonds servants qui
monopoliseront les ressources judiciaires disponibles. »
Ce qu’il
faut comprendre, c’est que depuis trois ans, Hydro-Québec a toujours prétendu
le contraire en évoquant « un droit clair » sur la base d’une
servitude obtenue légalement, au début des années soixante-dix!
Dans les
nombreuses procédures qui ont entouré cette saga, un juge est même allé jusqu’à
déclarer en pleine audience : « S’il y a un droit quelque part, je ne le
vois pas! » (2)
On mesure maintenant
l’ampleur du « désastre juridique » défavorable à la société d’état
quand on relit le document remis à environ 300 propriétaires dont les terrains
jouxtaient la ligne et qui ont accepté de se plier aux demandes d’Hydro-Québec.
Pour convaincre ces derniers d’accepter une compensation de quelques centaines
de dollars, la société d’état utilisait comme outil d’intimidation un texte qu’elle
leur remettait et qui se formulait comme suit : « Hydro-Québec
détient des droits de servitude sur une parcelle ou sur la totalité de
l’immeuble ci-dessus mentionné, établis par contrat ou par l’effet de la loi et
publiés au bureau de la publicité des droits, permettant à Hydro-Québec de faire
les ouvrages nécessaires à l’exercice de ces droits réels et perpétuels pour
l’implantation d’une ou des lignes de transport d’énergie électrique ».
Le problème
pour Hydro-Québec, c’est qu’aucune servitude n’était clairement identifiée pour
la construction de la nouvelle ligne de transport comme ce fut le cas en toute
légalité, au début des années soixante-et-dix.
Désormais, avec
le jugement qui vient d’être rendu, lorsqu’un représentant de la société d’état
entrera en contact avec un propriétaire québécois voisin d’une nouvelle ligne
électrique, celui-ci aura beau jeu de lui opposer le jugement de la Cour
d’appel des honorables juges Yves-Marie Morissette, Patrick Healy et Claudine
Roy! C’est d’ailleurs ce qu’avaient fait
les sept propriétaires en clamant l’absence d’une servitude formelle associée à
la nouvelle ligne de transport Chamouchouane-Judith-Jamin pour exiger une
compensation.
Au secours Cour
suprême!
On comprend
qu’Hydro-Québec veuille maintenant jouer son va-tout devant la Cour suprême!
Essentiellement, la société d’État évoque des erreurs d’interprétation, plaide « la
stabilité des droits», sa bonne foi et une jurisprudence reconnue, à l’effet
que la première servitude du début des années 70, lui permettait de construire
3 lignes de transport d’électricité, et
qu’on est qu’à la 2ième avec cette ligne controversée de
Chamouchouane Judith-Jasmin.
Toutefois, le
risque est grand que la Cour fédérale refuse d’entendre à nouveau la cause
comme elle vient de le faire dans un dossier tout aussi important : celui
de la construction de l’oléoduc de Trans Mountain en Colombie-Britannique.
Autrement
dit, on peut s’adresser à la Cour suprême sans avoir la garantie que la plus
haute Cour du pays se prêtera à un nouvel exercice. Du point de vue de la Cour
fédérale, le jugement de la Cour d’appel peut en effet se suffire à lui-même puisque
cette même Cour d’appel était présidée par nul autre que Yves-Marie Morissette,
un ancien doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill et une sommité
reconnue dans le domaine.
Des conséquences qui
pourraient être énormes.
Ce dossier
pourrait devenir une véritable boîte de pandore pour Hydro-Québec et créer un
« capharnaum » sans précédent. D’emblée, la société d’État admet que
« près de la moitié des servitudes détenues par Hydro-Québec (37,405 lots
sur 79,424) sont susceptibles d’être affectées par l’interprétation restrictive
adoptée par la Cour d’appel du Québec. »
Autrement dit, la société d’État se trouve
confrontée à des servitudes qui n’ont pas été régularisées et acquises
légalement et pour lesquelles elle pourrait être forcée de payer de nouveaux
droits pour utilisation illégale depuis près de 40 ans!
« Ébranlée »
ce sont ses propres mots, la société Hydro-Québec évoque non seulement le passé
mais aussi l’avenir. Elle écrit : « Les conséquences de la décision
de la Cour d’appel peuvent donc être majeures et mettre en péril le
développement, la mise à niveau et la fiabilité du réseau d’Hydro-Québec.» (4)
Finalement,
Hydro-Québec reconnaît être maintenant exposée à travers tout le Québec à de
« […] nombreuses réclamations en dommages par les propriétaires des
lots […]» (5). Seront-elles de l’ordre
de millions, de centaines de millions, ou de milliards? Seules d’éventuelles
procédures apporteront ces précisions.
La procédure
initiée devant la Cour suprême évoque des répercussions à l’échelle nationale
de la décision de la Cour d’appel. Il est fait mention que « ce
simple recours s’est soldé par un arrêt de la Cour d’appel dont les
conséquences risquent d’être néfastes sur l’ensemble du réseau d’Hydro-Québec
et pour d’autres transporteurs d’électricité au pays ». (6)
Pour plaider
sa cause et obtenir une injonction qui lui a été refusée, la société a même
évoqué une hausse possible des tarifs d’électricité! C’est dire.
Le dossier
ne s’arrête pas là. Avant même la décision de la Cour d’appel, trois autres
juges (ils sont maintenant sept juges à s’être penchés sur cette cause),
avaient déterminé qu’il y aurait un procès distinct pour les dommages causés aux
propriétaires par l’implantation de cette ligne de transport de 735 kV de 400
kilomètres et construite au coût de 1,34G$ entre le Lac St-Jean (poste
Chamouchouane) et Terrebonne (poste Judith-Jasmin).
Ces dommages,
qui restent à préciser, pourraient être liés à l’usage non seulement à l’usage
illégal des servitudes que l’on vient d’évoquer, mais aussi à la contamination
par le bruit 20% du temps, à savoir un nombre de décibels qui dépassent le
seuil des normes permises lorsqu’il pleut ou lorsqu’il neige. A ces dommages
sonores, pourraient également s’ajouter des dommages chimiques, tels les No2 et
les No3, matières dangereuses et classifiées comme telles, qui sont dégagées
par les lignes de transport et propagées par le vent au-delà des emprises des
lignes de transport.
Hydro-Québec
se veut pour l’instant rassurante. Ces questions sont pour elles
« négligeables» et non pas « été soulevées en audiences publiques»
écrit-elle dans un courriel qu’elle nous a fait parvenir.
Éric Martel est bien au
fait de la situation.
Dès février
dernier nous avions fait parvenir un courriel et un courrier enregistré au
président Éric Martel.
Dans cette
lettre (8), nous évoquions alors la possibilité d’un jugement défavorable de la
Cour d’appel, même si la société d’État avait gagné en première instance. La
suite des choses devait nous donner raison même si cette lutte de sept
propriétaires, s’apparente à celle d’une lutte de David contre Goliath.
Après que la
Société d’État ait essuyé au moins trois revers consécutifs (d’abord avec la
Cour d’appel sur la question des servitudes, ensuite sur autre décision en
faveur d’un procès distinct sur la question des dommages, et enfin sur une injonction
contre les propriétaires qui lui fut refusée,) des questions se posent : Pourquoi
Hydro-Québec ne suit elle pas les recommandations de la Cour d’appel, à l’effet
de s’entendre avec les propriétaires qui ne s’opposent pas à la construction de
la ligne et qui ont été lésés dans leurs droits? Pourquoi ne procède-t-elle pas
dès à présent à leur expropriation? (8)
À cela la
société répond, qu’elle « …ne pourrait pas « régulariser » ses
droits immobiliers par la voie de l’expropriation dans les délais requis pour
la mise en service du Projet », prévu pour le printemps 2019 au coût de
1,34G$.
RÉFÉRENCES :
2) Juge Pierre Nolet. Audition pour la
demande d’injonction interlocutoire pour autoriser la coupe des arbres sur les
propriétés avant le 30 avril 2016.
6) Procédure devant la Cour suprême 24
août 2018
7) Ces propriétaires sont : Louise
Matta, Claude Ouellet, Christiane Léveillé, Diane Ouellet, Patrick Léveillé,
Josée Léveillé et Entreprises Caslon Inc.
LIEN POUR L’ENSEMBLE DE MON BLOGUE
SUR LA LIGNE CHAMOUCHOUANE
https://chamouchouane.blogspot.com/
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